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 Cocteau

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Noam

Noam


Nombre de messages : 105
Date d'inscription : 01/09/2006

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MessageSujet: Cocteau   Cocteau EmptyVen 1 Sep - 2:19

voici une deuxième fiche de lecture sur les enfants terribles de cocteau afro

JEAN COCTEAU





LES ENFANTS TERRIBLES, mars 1929

Personnages : Paul, sa sœur Elisabeth, Gérard, Agathe, et Dargelos au couteau, au poison.
Comment dire cet histoire de caprice, qui décrit la vie d’une enfance qui s’enivre de son fruit, jusqu’à l’extase, jusqu’à la mort.
Et Cocteau touche, avec une magie qui fait tout son génie à cet univers de rites, de fièvres (celle d’un amour naissant et d’autant plus brûlant qu’il en ignore encore les formes), de transgressions, et résolument opposé au monde des Grands.
Caractérisé par la Chambre, où se déroule le plus grand de l’histoire partout où elle se constitue, où reconstitue. Sans que les enfants en aient véritablement conscience, pas plus qu’ils n’ont conscience du jeu qu’il jouent. Véritable théâtre donc, sans acteurs et sans spectateurs autres que ces enfants.
NOTION DE DROGUE, de fièvre, de poison, tout ce qu’on pourrait croire ETRANGER à l’ INNOCENCE de l’ENFANCE, et qui constitue pourtant son fond le plus intense.

Synopsis : Paul est terrassé par une boule de neige lancée par son idole, Dargelos, le coq du collège (CONDORCET J )….> Malade il est pris en charge par sa sœur Elisabeth, et son ami Gérard…la chambre des enfants se transforme peu à peu en bateau ivre, et de théâtre devient un univers…l’arrivée d’Agathe, la fortune soudaine d’Elisabeth (aussitôt mariée, aussitôt veuve) confère à la Chambre itinérante le sacré d’un temple, le sang d’un autel, le profane d’une comédie, ses fards, ses querelles, ses insultes perpétuelles et le tragique, l’angoisse des crimes qui s’y préparent.
Elisabeth découvrant l’amour que Paul se refusait à admettre pour Agathe fait au pire et scelle définitivement leurs destins, monstre égoïste se justifiant dans des règles plus haute, qu’elle partage à la fin avec son frère…amours terribles d’enfants terribles.




PAGE 8
Mais, en cinquième la force qui s’éveille se trouve encore soumise aux instincts ténébreux de l’enfance. Instincts animaux, végétaux, dont il est difficile de surprendre l’exercice parce que la mémoire ne les conserve pas plus que le souvenir de certaines douleurs et que les enfants se taisent à l’approche des grandes personnes. Ils se taisent, ils reprennent l’allure d’un autre monde. Ces grands comédiens savent d’un seul coup se hérisser de pointes comme une bête ou s’armer d’humble douceur comme une plante et ne divulguent jamais les rites obscurs de leur religion. A peine savons nous qu’elle exige des ruses, des victimes, des jugements sommaires, des épouvantails, des supplices, des sacrifices humains. Les détails restent dans l’ombre et les fidèles possèdent leur idiome qui empêcherait de les comprendre si par aventure on les entendait sans être vu. Tous les marchés s’y monnaient en billes d’agate, en timbres. Les offrandes grossissent les poches des chefs et des demi-dieux, les cris cachent des conciliabules et je suppose que si l’un de peintres calfeutré dans son luxe, tirait la corde qui manœuvre les baldaquins du rideau de photographe, cette jeunesse ne lui fournirait pas un de ces motifs qu’il affectionne et qui s’intitulent : Ramoneurs se battant à coup de boules de neiges, La main chaude, ou Gentils galopins.


PAGE 11

Il cherchait Dargelos, il l’aimait.
Cet amour le ravageait d’autant plus qu’il précédait la connaissance de l’amour. C’était un mal vague, intense, contre lequel il n’existe aucun remède, un désir chaste sans sexe et sans but.
Dargelos était le coq du collège. Il goûtait ceux qui le bravaient ou le secondaient. Or à chaque fois que l’élève pâle se trouvait en face des cheveux tordus, des genoux blessés, de la veste aux poches intrigantes, il perdait la tête.
La bataille lui donnait du courage. Il courrait, il rejoindrait Dargelos, il se battrait, le défendrait, lui prouverait de quoi il était capable.
La neige volait, s’écrasait sur les pèlerines, étoilait les murs. De place en place, entre deux nuits, on voyait le détail d’une figure à la bouche ouverte, d’une main qui désigne un but.
Une main désigne l’élève pâle qui titube et qui va encore appeler. Il vent de reconnaître, debout sur un perron, un des acolytes de son idole. C’est cet acolyte qui le condamne. Il ouvre la bouche : « Darg… » ; aussitôt la neige lui frappe la bouche, y pénètre, paralyse les dents. Il a juste le temps d’apercevoir un rire, et à côté du rire, au milieu de son état-major, Dargelos qui se dresse, les joues en feu, la chevelure en désordre, avec un geste immense.
Un coup le frappe en pleine poitrine. Un coup sombre. Un coup de poing de marbre. Un coup de poing de statue. Sa tête se vide. Il devine Dargelos une espèce d’estrade, le bras retombé, stupide, dans un éclairage surnaturel.

(scène reprise dans le sang d’un poète…souvenir d’enfance ?)

PAGE 24
-Tu dors ?
-Fiche-moi la paix.
-Très aimable. Tu es parti (dans le dialecte fraternel, être parti signifiait l’état provoqué par le jeu ; on disait : je vais partir, je pars, je suis parti. Déranger le joueur parti constituait une faute sans excuse.)

PAGE 59
La reprise du thème des écrevisses parvint à Paul, à travers les approches du sommeil. Il ne désirait plus d’écrevisses. Il appareillait. Ses gourmandises tombaient, le délestait, le livraient pieds et poings liés au fleuve des morts.
C’était la grande minute qu’Elisabeth mettait toute sa science à provoquer pour l’interrompre. Elle l’endormait de refus, et, trop tard, se levait, s’approchait du lit, posait son saladier sur ses genoux.
-Allez, sale bête, je ne suis pas méchante. Tu l’auras ton écrevisse.
Le malheureux soulevait au dessus du sommeil une tête lourde, des yeux collés, gonflés, une bouche qui ne respirait plus l’air des hommes.
-Allez mange. Tu en veux ou tu n’en veux pas. Mange ou je pars.
Alors, pareil au décapité qui essayerait de reprendre contact avec le monde, Paul entrouvrait les lèvres.
-Il faut le voir pour le croire. Hé ! Paul ! Hé là ! Ton écrevisse !
Elle brisait la carapace, lui poussait la chair entre les dents.
-Il mâche en rêve. Regarde, Gérard ! Regarde, c’est très curieux. Quelle gloutonnerie ! Faut il qu’il soit ignoble !
Et d’un air intéressé de spécialiste, Elisabeth continuait sa besogne. Elle dilatait ses narines, tirait un peu la langue. Grave, patiente, bossue, elle ressemblait à une folle en train de gaver un enfant mort.



PAGE 72

Agathe jouissait d’être victime parce qu’elle sentait cette chambre pleine d’un électricité d’amour dont les secousses les plus brutales demeuraient inoffensives et dont le parfum d’ozone vivifiait.
C’était une fille de cocaïnomanes qui la brutalisaient et se suicidèrent au gaz. L’administrateur d’une grande maison de modes habitait l’immeuble. Il la réclama, l’emmena chez sa patronne. Après un travail de subalterne, elle obtint de passer les robes. Elle sy connaissait en coups, en insultes, en farces sinistres. Ceux de la chambre la changeait ; ils évoquaient les vagues qui se battent le vent qui gifle et la foudre espiègle qui déshabille un berger.
Malgré cette différence, une maison de drogues l’avait instruite que les pénombres, les menaces, les poursuites qui cassent les meubles, les viandes froides mangées la nuit. Rien de ce qui, rue Montmartre, pouvait scandaliser une jeune fille ne l’étonna. Elle sortait d’une rude école et le régime de cette école lui avait imprimé autour des yeux et des narines ce quelque chose de farouche qui pouvait se prendre pour la morgue de Dargelos.
Dans la chambre, elle monta, en quelque sorte, au ciel de son enfer. Elle vivait, elle respirait. Rien ne l’inquiétait et jamais elle ne trembla que ses amis n’en vinssent aux drogues, parce qu’ils agissaient sous l’influence d’une drogue naturelle, jalouse et que prendre des drogues eût été pour eux mettre blanc sur blanc, noir sur noir.
Pourtant, il leur arrivait d’être en proie à quelque délire ; une fièvre revêtait la chambre de miroirs déformants. Alors Agathe s’assombrissait, se demandant si, pour être naturelle, la drogue mystérieuse n’en serait pas moins exigeante et si toute drogue n’aboutissait pas à s’asphyxier avec du gaz.
Une chute de lest, une reprise d’équilibre chassaient ses doutes, la rassuraient.
Mais la drogue existait. Elisabeth et Paul étaient nés en charriant dans leur sang cette substance fabuleuse.
Les drogues procèdent par périodes et changent le décor. Ce changement de décor, ces différents stades d’un cycle de phénomènes, ne se produisent pas d’un seul coup. Le passage est insensible et provoque une zone intermédiaire de désarroi. Les choses se meuvent à contresens pour former de nouveaux dessins.
Le jeu tenait une place de moins en moins grande dans la vie d’Elisabeth et même dans celle de Paul. Gérard, absorbé par Elisabeth n’y jouait plus. Le frère et la sœur essayaient encore et s’agaçaient de n’y pouvoir parvenir. Ils ne partaient pas. Ils se sentaient distraits, dérangés au fil du rêve. En vérité, ils partaient ailleurs.

PAGE 91
Ses yeux luisaient. Il s’arrêtait, contournait, reniflait, incapable d’assimiler une chambre à la cité Monthiers, un silence nocturne à la neige, mais y retrouvait profondément le déjà vu d’une vie antérieure.
Il inspecta le cabinet de travail, se releva, traîna et enroula les paravents de manière à isoler un fauteuil, s’y coucha, les pieds sur une chaise ;puis, l’âme béate essaya de partir. Mais le décor partait, abandonnant son personnage.
Il souffrait. Il souffrait d’orgueil. Sa revanche sur le double de Dargelos était un échec pitoyable. Agathe le dominait. Et, au lieu de comprendre qu’il l’aimait, qu’elle le dominait par sa douceur, qu’il importait de se laisser vaincre, il se crêtait, se cabrait, luttait contre ce qu’il croyait son démon, une fatalité diabolique.


PAGE 120
-Sale monstre ! Sale monstre !
Paul continuait, râlait, la fusillait d’un regard bleu, d’un feu bleu ininterrompu entre la fente des paupières. Des crampes, des tics torturaient sa belle bouche et la sécheresse qui tarissait la source des larmes communiquait au regard ces éclairs fébriles, une phosphorescence de loup.


PAGE 123
Le moribond s’exténuait. Il se tendait du côté d’Elisabath, du côté de la neige, du jeu, de la chambre de leur enfance. Un fil de la Vierge le reliait à la vie, attachait une pensée diffuse à son corps de pierre. Il distinguait mal sa sœur, une longue personne criant son nom. Car Elisabeth comme une amoureuse qui retarde son plaisir pour attendre celui de l’autre, le doigt sur la détente, attendait le spasme mortel de son frère, lui criait de la rejoindre, l’appelait par son nom, guettant la minute splendide où ils s’appartiendraient dans la mort.
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